Quoi de plus passionnant qu’une journée de cours pour un jeune homme de 58 ans ? Oui, dit comme ça, les choses peuvent sembler assez étranges, mais cela n’est autre que la vérité : le beau jeune homme accoudé à un mur devant le lycée est bien âgé de 58 ans. Le temps n’est pas vraiment beau, plus gris qu’autre chose, mais c’est déjà bon signe dans cette ville, alors autant ne pas se plaindre. Le temps n’est pas vraiment chaud mais Seth, le jeune homme dont nous parlions, est habillé simplement d’un jean et d’un T-shirt blanc avec une tête de mort souriante dessus. Adossé contre un mur, seul, il regarde au loin sans être vraiment dans le même monde que les autres lycéens. Ses cheveux bruns sont coiffés au millimètre, faisant une mèche parfaite sur son front, lui donnant presque un air de petit ange. Presque alors. La présence de la meute est quelque chose de formidable, mais il arrive à certains moments que le besoin de s’isoler se fasse ressentir pour réfléchir. Un moment comme celui là en gros, sauf qu’il ne dura pas plus longtemps en raison de la cloche qui annonçait la reprise des cours. Super, en avant pour un cours de physique des plus assommants. Comme vous vous en doutez sûrement, le jeune homme ne pressa pas l’allure pour se rendre en salle de classe, laissant son regard flotter sur tout ce qui l’entourait, avançant un pied devant l’autre sans aucune conviction. Plutôt indifférent du monde ce matin, tout bascula quand il s’arrêta net sur le pas de la porte, découvrant avec horreur la disposition de la salle. La dernière place libre se trouvait à côté de Lina Joli. Lina. Il avait pourtant vécut des choses beaucoup plus dangereuses que s’asseoir à côté d’une fille, mais peut être pas de celle-là en particulier. Elle ne le regardait pas et sortait ses affaires, et Seth y voyait pourtant la plus grande beauté de tous les temps, divine dans chacun de ses gestes, désirable à chacun de ses soupirs. Maintenant qu’il était là et que tout le monde l’avait vu, plus question de sécher les cours car le professeur ne serait pas vraiment content. Et merde. Prenant son courage à deux mains, il s’avança vers la place libre et se laissa tomber sur la chaise comme un sac de patates, fixant le tableau comme si il était complètement défoncé. La tactique le fonctionna pas vraiment, quelle déception. Fait chier.

Eh, salut Seth ! Je suis contente que tu sois là, on à pas trop l’occasion de se parler d’habitude alors autant rattraper le temps perdu !

Effectivement, ils n’avaient pas l’occasion de se parler sûrement. Cela venait sûrement du fait que Seth la fuyait comme la peste, trop amoureux d’elle pour oser rester trop longtemps si proche d’une tentation irrésistible. Retenant une grimace de souffrance, il se passa une main sur le visage et s’enfonça le pouce et l’index dans les yeux, faisant mine d’être complètement endormi pour avoir le temps de réfléchir. Une fois cela fait, il tourna la tête vers elle et lui lança un petit sourire, assez faible mais tout de même un sourire. Il devait dire quelque chose, c’était ce qu’elle attendait, et ne pas parler lui donnerait le statut de dément. Détournant son regard de la belle Lina, il commença à sortir ses affaires tout en parlant, souhaitant de tout son cœur que le professeur soit dans une rage folle et le mette dehors sans raison.

C’est vrai que je suis assez occupé ces derniers temps, je ne vois pas grand monde… Il faut que je travaille pour avoir de bonnes notes, ça m’embêterait de venir en cours pour rien !

Quelle fille continuerait à courir après un garçon qui sortait une excuse concernant les cours ? Quoi de plus barbant qu’un beau garçon qui ne pense qu’aux études et anéanti une discussion avec une beauté en quelques secondes ? Quelles que soient les réponses, Lina ne comptait pas lâcher l’affaire et le regarda d’un air intrigué. Elle se demandait sûrement depuis quand le jeune Seth travaillait ses cours puisque tout le monde le connaissant en tant que fêtard indomptable et cancre dans toute sa splendeur. Un tel revirement était étrange, mais quelle autre excuse aurait été valable pour avoir la paix ? Aucune. Alors que la bouche de Lina s’ouvrait pour répliquer, le professeur entra en claquant la porte, demandant le silence uniquement par sa présence. Poussant un soupir de soulagement qui n’échappa sûrement pas à la demoiselle, Seth se pencha sur une feuille et commença à écrire la date, son nez presque collé à sa feuille. Relevant la tête avec lenteur, il vit avec frayeur que le professeur le regardait d’un air ahuri comme tout le reste de la classe. Le silence plana quelques secondes avant que l’homme derrière son bureau ne prenne la parole, fixant le jeune loup.

Depuis quand n’avez-vous pas écrit sur une feuille Mr Clearwater ? Je ne pourrais répondre à cette question, sûrement comme le reste de la classe. Quelle que soit la maladie qui vous frappe, ne guérissez pas trop vite, par pitié !

La classe entière explosa de rire tandis que Seth lançait un sourire éclatant, profitant de ce changement de situation pour dévier le commentaire que Lina allait faire. Dommage que cette fille soit une arapède, car une fois le silence revenu et le cours revenu, sa bouche s’approcha de l’oreille de Seth, apportant dangereusement une odeur qui le rendait fou, celle de la passion. Quelques mots s’envolèrent pour s’infiltrer dans l’oreille du jeune homme qui frissonna intérieurement.

Tu ne me fuiras pas éternellement, Seth Clearwater…

Cela sonnait comme une menace dans le cerveau du garçon. Oui, il rêvait de cela : abandonner la fuite, ne plus rien retenir en lui et se jeter sur elle pour presser son corps contre le sien, pour presser ses lèvres contres celles sucrées et roses de Lina. Mais il ne pouvait se résoudre à devenir prisonnier de tout cet amour, c’était le mauvais côté de l’imprégnation. Il ne pourrait plus penser à autre chose qu’à elle, serait toujours derrière elle pour la surveiller. Ce qu’il faisait déjà, me direz vous, mais officialiser une relation avec Lina était un mur que Seth ne pouvait surmonter. A présent, la jeune fille lui souriant de toutes ses dents, plus désirable que jamais. Se redressant sur sa chaise pour affronter l’heure terrible qui allait suivre, Seth afficha cette fois un sourire des plus convaincants, des plus explicites aussi : la lueur qui brillait dans ses yeux indiquait qu’il ne se rendrait pas sans se battre. Il n’était pas du genre à laisser tomber, et il devait se battre pour se protéger. Au final, pour la protéger. Par amour…