J'ai fait de mon mieux. Certains passages restent toutefois en dessous de mes attentes personnelles mais j'espère que ça conviendra à vous
Petit fond musical pour ceux qui le désire :
Des perles d'eau vinrent s'accrocher à mes cils, et je dus cligner des yeux pour dissiper le trouble qui obstruait ma vue. La pluie s'abattait fine et drue sur le sol en une symphonie perçante et régulière, que l'orchestre du déluge jouait avec animation. Sa chute semblait toujours plus vive et plus abrupte. Mes cheveux se plaquaient et striaient mon visage; mes chaussures couinaient à chaque enjambée et brisaient le silence de Fort Smith. Dans ces ruelles silencieuses dont l’averse battait le rythme, une silhouette courbée se dessina au travers des gouttes, comme une ombre spectrale, et s’approchait peu à peu de moi. Je pus distinguer, sous son capuchon sombre, des yeux malicieux et âgés. Une vieille femme. Alors que je la fixais sans m’en rendre compte, celle-ci sourit innocemment et passa son chemin. Je levai alors le menton puis admirai l'étendue nocturne tout en continuant ma route dans cette ville opiniâtrement calme. Je me perdis dans la contemplation de ce fourmillement d'étoiles frémissantes dans cette voûte céleste immense, un sourire errant sur mes lèvres, pleine de mélancolie et d'admiration devant cette féerie de lumière. Une curieuse nostalgie s'empara de mon cœur immortel. Je revoyais ma tutrice, assise dans son fauteuil, en train de coudre les mains tremblantes. « Faut pas que t’attrape froid, ma beauté. » me disait-elle de sa voix éteinte. Voix dont j’avais mis à jamais fin, et cela de sang froid.
Je serrai les dents de rage et fermai les yeux en secouant la tête, voulant chasser cette image de moi. Comment avais-je pu ôter la vie à la seule personne qui éprouvait de l’intérêt malgré mon aspect surnaturel ? Et pourtant, ce besoin de planter mes crocs dans sa chair m’habitait déjà depuis longtemps. Le soir quand sa main venait me bordait et que ressortait cette veine délicieusement attirance, cette force, cette envie hantait mon esprit, courrait dans mes artères, bouillait dans mon sang. J’avais lutté, oui. J’avais lancé mon âme et mon naturel dans un combat sans merci où une seule issue était possible. En réalité, je savais qu’un jour ma pulsion prendrait le dessus avec force et haine, je ne cherchais en réalité qu’à retarder l’échéance.
En solitaire dans cette ville éteinte, ce Fort Smith obstinément délicieux le jour comme la nuit, je laissai libre cours à mes rêveries, à ces pensées qui imprégnaient depuis longtemps mon esprit de ce parfum de réminiscences inconnu, et qui toujours éveillaient en moi une chaude mélancolie. Pourtant, dans mon voyage intérieur, je ne pus remarquer qu’une personne se trouvait sur mon chemin, sortie de nulle part. Je l’emboutis sans même avoir eu un mouvement de recul, tellement sa présence me surprit. Je bafouillai de vagues excuses tandis qu’elle me fixait, sans un mot. Je marquai un temps de pause, devant cette magnifique jeune femme. Ses longs cheveux bruns humides lui donnaient un air encore plus sauvage que ses yeux cuivrés où se reflétaient sagesse et bestialité. Devant sa peau de nacre et ce regard de braise, je pus me rendre compte que c’était un vampire. Mes muscles se raidirent et mon instinct de prédateur s’enclencha. L’inconnue avait surement flairé mes talents et elle pouvait, après tout, à tout moment me sauter à la gorge pour éliminer la nouvelle venue sur son territoire. Elle n’en fit rien. A vrai dire, à ma plus grande surprise, elle sourit doucement et me rassura de sa voix douce.
« Calme toi. Je m’appelle Isabella Mary Cullen. Je souhaiterai te montrer quelque chose. »
Je la regardai, ahurie. Bien que sa demande ait été formulée clairement et sans ambiguïté, je lui demandai de répéter.
« Rose, viens avec moi s’il te plait. Tu cherches des réponses. »
« Comment vo… » commençai-je.
Je ne terminai pas ma phrase, trop hébétée devant elle. Elle, si belle, si menaçante et rassurante à la fois. Il émanait d’elle une étrange aura sans animosité. Isabella me lança un sourire, se tourna et commença à s’éloigner. Je la fixais quelques instants, la regardant s’enfonçait peu à peu dans les ténèbres du haut de ses fines jambes avec grâce et tenue. Enfin, je me résolus à la suivre tout en gardant une certaine distance et méfiance. Elle s’arrêta au bout de la rue, qui débouchait sur une place animée par la présence d’humains. Pourtant, au cœur de ce tapage, se trouvait une jeune femme qui attira mon attention. De son sourire angélique découlait étrange sensation, indescriptible, et, après l’avoir observée longuement. C’était une hybride. Mais son aura était différente de la mienne. Plus belle, plus sensible. Elle tenait fermement la main d’un jeune homme et ne le quittait pas des yeux tandis qu’il discutait avec des hommes. Puis, il se retourna vers elle et l’embrassa amoureusement. Amoureusement.
« Mais comment avez-vous su que… » lançai-je en me retournant vers Isabella.
Celle-ci avait disparu, dans les tréfonds des ténèbres, emportant avec elle milles et une questions. Elle avait répondu à celles dont je me posais avant d’arriver à Fort Smith mais cela en avait engendré encore plus.
J'avais à cet instant même cette envie subite de pousser un cri, non pas d'effroi mais de délivrance, et de laisser les démons de mon âme et tous ces maux enfouis sous ma peau s'échapper en un las soupir. Je voulais courir comme une démente à travers cette place et voir défiler toute sa richesse en un brouillard de formes, d'ombres et de lumières, devant cette réponse qui me confortait. J'éprouvais un incohérent soulagement à me retrouver enfin seule mais aussi soutenue. Mon âme vagabondais dans les champs de mon imagination, voguais sur la mer tumultueuse de mes pensées, dans une fuite sans raison et sans remords. J'oubliai le froid, l'errance et l'obscurité. C'étaient toutes ces sensations que cette réponse produisait sur moi. Et cédant à mon tour à cette nocturne torpeur, je me laissai bercer, languide, par le clapotis de l’eau sur le bitume, par les lueurs orangées, presque exotiques, des réverbères, et par les nuances bleues apparentes du ciel romantique.
J'étais dans un état d'allégresse inconscient, de ceux qui vous submergent et vous font béer d'hébétude. Mes joues s'empourprèrent, mais j'ignorais quelle en était la véritable raison : était-ce toujours ce froid qui lacérait ma peau, ou bien ce spectacle extraordinaire, cette hybride, non pas une erreur de la nature, mais bien le fruit de quelque chose de plus beau, de plus fort, qui bouleversait toute mon âme ? A dire vrai, cela m'importait peu. Je savais. J’aurai voulu me libérer de mes maux. Je folâtrais sur le macadam humide comme une enfant enthousiaste, je me soûlais de joie et riais tout bas. La dense obscurité, presque palpable, ne me dérangeait pas, ni les rares véhicules qui défilaient à mon côté. J'oubliai le reste de l'humanité le temps d'une seule seconde et m'engouffrai égoïstement dans les catacombes de mon âme rassurée.
« Merci. » murmurais-je.
Isabella Mary Cullen venait de me prouver en un seul geste qu'au final, la finalité de ma vie ne se résumerait pas à ce triste dessein que j'imaginais. Rien n’était perdu après tout. Le combat serait long, un affrontement entre mon âme et les évènements extérieurs.
Fort Smith, bien qu'enveloppée dans son grand et épais manteau noir, flamboyait d'une sereine mélancolie. La pluie cessa de tomber, le ciel larmoyant achevait sa complainte. Les reflets mouvants de la lune peignaient de blanc les flaques, brisant l'uniformité des pavés endormis. Les arbres malingres se tenaient maintenant immobiles et semblaient moins menaçants.
Et là, au centre de cette ville délicieuse, une hybride au cœur meurtri, souriait.